Arunachala, la montagne sacrée.

Arunachala, la montagne sacrée.

lundi 19 novembre 2007

Ramesh Balsekar

Entretien mené par Chris Parish


Imaginez que vous vous réveillez un jour dans un autre monde. Comme vous vous frottez les yeux pour vous habituer à la lumière très vive, vous voyez que ce monde n’est, à bien des égards, pas très différent du nôtre. Tout autour de vous il y a des créatures qui, à vos yeux, ont un aspect identique aux êtres humains avec qui vous avez l’habitude de partager ce monde. Vous les regardez poursuivre leurs activités quotidiennes, vivant leurs vies, conversant les uns avec les autres, faisant la multitude de choix et de décisions inhérentes à la vie. Cette image paraît rassurante, bien familière et tout à fait normale.
Mais bientôt vous découvrez que, dans ce monde-là, les choses ne sont pas forcément comme elles paraissent. Car ce ne sont pas des êtres humains. Non, ce sont des « organismes corps-esprit » qui n’ont pas, comme leurs homologues humains, la capacité de faire des choix ou de prendre des décisions. En fait ces organismes n’ont rien de semblable à ce que nous nommons libre-arbitre. Les scénarios de leurs vies entières ont été gravés dans la pierre longtemps avant leur naissance, ce qui ne leur laisse aucune autre possibilité que d’accomplir mécaniquement les actions résultant de leur programmation. On pourrait dire que ces créatures apparemment humaines ne sont pas trop différentes de machines. Alors qu’elles semblent se comporter comme tout individu libre pensant ordinaire, activement engagé dans la vie quotidienne, bizarrement une fois qu’on les interroge, elles soutiennent qu’elles n’agissent absolument pas. En fait, dans ce monde étrange, elles affirment qu’il n’y a pas « d’agissants ». En plus, personne dans ce monde n’est jamais responsable de quoi que ce soit. Même s’il semble qu’un de ces êtres fait du mal à un autre, il n’y a aucun sentiment de regret et aucun blâme n’est infligé. Si vous deviez interroger un de ces organismes corps-esprit sur cette question, la réponse serait qu’il n’y a personne, que rien ne s’est passé. L’éthique est un concept inconnu ici. Les lois de la nature ne semblent pas s’appliquer dans ce meilleur des mondes. Peut-être ont-elles été réécrites, car ces êtres semblent quand même observer quelques lois étranges. Vous vous demandez où vous pouvez bien être. Mais vous n’êtes pas sur Terre. Vous avez atterri sur la planète Advaita.

J’étais venu à Bombay pour interviewer Ramesh Balsekar, un des enseignants contemporains les plus connus du Védanta Advaita. Ramesh Balsekar vit au cœur de cette ville immense et chaotique, dans un quartier chic face à la mer, où, d’après mon chauffeur de taxi, vivent beaucoup de personnalités importantes. Le gardien de son immeuble déduit automatiquement qu’en tant qu’occidental je venais voir le maître, et me dirigea vers un étage élevé où Balsekar occupe un spacieux et confortable appartement. Impeccable, dans sa tenue indienne traditionnelle, Balsekar, hôte courtois, me salue chaleureusement. Son comportement est radieux et animé, et j’ai du mal à croire qu’il a quatre-vingts ans.
Ramesh Balsekar a un parcours inhabituel pour un gourou. Éduqué en occident, il eut une carrière professionnelle très réussie, prenant sa retraite de son poste de président de la Bank of India à l’âge de soixante ans. Même s’il affirme avoir toujours eu un penchant à croire au destin, ce n’est qu’après sa retraite qu’il commence sa quête spirituelle, ce qui l’amène rapidement à son gourou, le très renommé maître de l’Advaita Védanta, Sri Nisargadatta Maharaj. Nisargadatta était un maître fulgurant, connu en occident dans les années soixante-dix grâce à la publication de I Am That (Je suis cela), la version anglaise de ses dialogues, qui devînt un classique spirituel moderne. Moins d’un an après sa rencontre avec Nisargadatta, alors qu’il traduit pour son gourou, Balsekar parvient soudain, à ce qu’il appelle « l’ultime connaissance » - l’éveil-. D’après Balsekar, Nisargadatta lui donne l’autorisation d’enseigner juste avant de mourir et, depuis ce moment, Balsekar n’a de cesse de partager son message en tant que successeur du célèbre gourou. Balsekar a publié de nombreux livres de ses enseignements et a enseigné en Europe, aux Etats-unis et très fréquemment en Inde. Il tient satsang (audience avec un maître spirituel) dans son appartement tous les matins où un flux régulier, presque exclusivement, d’occidentaux, trouve son chemin jusqu’à Bombay pour le voir.
Au début nous voulions interviewer Balsekar non seulement parce qu’il est un enseignant populaire et influent de l’Advaita - avec des élèves qu’il a autorisés à enseigner à leur tour en toute autonomie ­ mais aussi parce qu’il est considéré par beaucoup comme le successeur d’un des maîtres de l’Advaita les plus reconnus des temps modernes. Cependant, nous avons vite réalisé en étudiant les écrits de Balsekar, qu’il enseigne une forme de l’Advaita assez inhabituelle et peut-être même excentrique qui, nous devons l’admettre, nous a conduit à des conclusions qui nous semblent douteuses et dérangeantes. Car, alors que le penchant déterministe de la pensée indienne a été longtemps critiqué, il apparaît que Balsekar a poussé ce fatalisme vers un extrême sans précédent. Le désir d’explorer ces zones troubles, comme notre intérêt général dans les enseignements de l’Advaita, m’ont finalement porté jusqu’à Bombay pour parler avec lui. Déjà anticipant une rencontre difficile lorsqu’on nous servit le café et que nous nous installions confortablement dans son salon, si je regarde en arrière maintenant, il devient absolument clair qu’en aucune façon, je n’aurais pu me préparer au dialogue qui allait suivre.
WIE:Vous êtes de plus en plus connu comme enseignant de l’Advaita Védanta, en Inde comme en occident. Pouvez- vous nous décrire ce que vous enseignez ?

RAMESH BALSEKAR: Je peux le dire en une phrase, vraiment. La seule phrase sur laquelle est fondé tout mon enseignement : « Que ta Volonté soit faite». Ou comme le disent les Musulmans, « Inch Allah » ­ « S’il plaît à Dieu ». Ou bien, en paroles du Bouddha : « Les événements arrivent, les actions sont faites, il n’y a pas d’agissant individuel/d’individu qui agit ». Voyez vous, le conflit de base dans la vie est : « Tout ce que je fais est bien, donc je veux ma récompense ; lui ou elle fait toujours quelque chose de mal et devrait être puni. » C’est de cela qu’il est question dans la vie, n’est-ce pas ?

WIE: C’est vrai que cela arrive certainement très souvent.

RB:Voilà la base de ce que j’ai observé. Tout le problème de ce que quelqu’un dit, « Moi, j’ai fait quelque chose et je mérite une récompense, ou lui, il a fait quelque chose et donc je veux le punir pour cela ».

WIE: Comment amenez vous les gens à cette idée :« il n’y a pas d’agissant individuel/d’individu qui agit »?

RB:C’est très simple. Analysez n’importe quelle action que vous considérez comme votre action, vous allez trouver que c’est la réaction du cerveau à un événement extérieur sur lequel vous n’avez aucun contrôle. Une pensée arrive - vous n’avez aucun contrôle sur quelle pensée va arriver. Une chose est vue ou entendue - vous n’avez aucun contrôle sur ce que vous allez voir ou entendre par la suite. Tous ces événements, sur lesquels vous n’avez aucun contrôle, arrivent. Et ensuite que se passe-t-il ? Le cerveau réagit à la pensée ou à la chose qui a été vue, entendue, goûtée, sentie ou touchée. La réaction du cerveau est ce que vous appelez « votre action ». Mais en fait, ce n’est simplement qu’un concept.

WIE: Alors quelle est la différence entre les pensées, sentiments et actions d¹une personne éveillée et celles d¹une personne non éveillée ?

RB:Il se passe la même chose. La seule différence est que dans le cas du sage, il comprend que les choses se passent ainsi. Et donc il sait que rien n’est fait par lui ­ simplement tout arrive. Le sage sait que «ce n’est pas moi qui agis». Mais une personne ordinaire va dire, « je fais ceci ou il ou elle fait cela. Donc je veux ma récompense et je veux qu’il ou elle soit puni ». La récompense ou la punition dépend de l’idée que moi, lui ou elle agissons.

WIE: D’après ma propre expérience, je peux comprendre que nous n’avons aucun contrôle sur quelle pensée où quelle émotion va surgir. Mais parfois une action s’ensuit et parfois non, et il me semble qu’il y a une très grande différence entre la simple émergence d’une pensée et une action qui affecte une autre personne.

RB:L’action est le résultat de la réaction du cerveau à la pensée. S’il arrive que la pensée a simplement été témoignée et le cerveau ne réagit pas à la pensée, alors il n’y a pas d’action.

WIE: Mais si, comme vous dites, il n’y a personne qui décide comment réagir, alors quelle est la cause qui fait que l’action se produit ou non ?

RB:Une action arrive si c’est la volonté de Dieu que cette action se passe. Si ce n’est pas la volonté de Dieu, l’action ne se fait pas.

WIE: Est ce que vous êtes en train de dire que chaque action qui se fait est la volonté de Dieu ?

RB:Oui ­ c’est la volonté de Dieu.

WIE: Agissant à travers une personne ?

RB:À travers une personne, oui.

WIE: Qu’elle soit éveillée ou non ? Autrement dit, à travers tous ?

RB:C’est juste. La seule différence, comme je le disais, c’est que l’homme ordinaire pense, « cette action est mienne », alors que le sage sait que l’action n’appartient à personne. Le sage sait que « les actes sont faits, les événements arrivent, mais il n’y a pas d’agissant individuel ». C’est l’unique différence pour ce qui me concerne. À la différence du sage, la personne ordinaire croit que les actes qui arrivent à travers cet organisme corps-esprit est le fait de l’individu, voilà la seule différence. Donc comme le sage sait qu’aucune action n’est de son fait, s’il arrive qu’une action blesse quelqu’un, il fera tout ce qu’il peut pour aider la personne blessée mais il n’y aura aucun sentiment de culpabilité.

WIE: Voulez-vous dire que si un individu agit de manière à finalement faire du mal à un autre, alors la personne qui a agi, ou comme vous dites cet « organisme corps-esprit» n’est pas responsable ?

RB:Ce que je suis en train de dire c’est que vous savez que « je » ne l’ai pas fait. Je ne dis pas que je ne suis pas désolé d’avoir fait du mal a quelqu’un. Le fait que quelqu’un a été blessé produira un sentiment de compassion et cette compassion me conduira à tout essayer pour soulager la douleur. Mais il n’y aura pas de sentiment de culpabilité : Ce n’est pas moi qui ai agi ! L’autre aspect de cela, c’est que lorsqu’il arrive une action que la société loue et pour laquelle elle me récompense, je ne dis pas que cela ne provoquera pas un sentiment de bonheur. C’est juste que la compassion émerge en conséquence d’une peine, de la même façon qu’une sensation de satisfaction ou de bonheur émerge en conséquence d’une récompense. Mais il n’y aura pas de fierté.

WIE: Mais voulez-vous dire que littéralement si je frappe quelqu’un, ce n’est pas moi qui agis ? Je veux juste clarifier ce point.

RB:La réalité de base, le concept de base reste inchangé : vous frappez quelqu’un. Après s’ajoute le concept que tout ce qui arrive est la volonté de Dieu, et en référence à chaque organisme corps-esprit la volonté de Dieu est le destin de chaque organisme corps-esprit.

WIE: Je pourrais donc dire, « C’était la volonté de Dieu que j’agisse ainsi; ce n’est pas ma faute. »

RB:Bien sûr. Une action se passe parce que tel est le destin de l’organisme corps-esprit qui agit, et parce que telle est la volonté de Dieu. Et les conséquences de cette action sont aussi le destin de l’organisme corps-esprit. Si une bonne action se produit, c’est le destin. Par exemple nous avions une Mère Teresa. L’organisme corps-esprit appelé « Mère Teresa » était programmé de telle façon qu’il ne faisait que de bonnes actions. Alors le déroulement de ces bonnes actions était le destin de l’organisme corps-esprit appelé Mère Teresa. Et les conséquences furent un Prix Nobel, des récompenses, des prix et des donations pour ses oeuvres. Tout cela était le destin de l’organisme corps-esprit appelé Mère Teresa. Et à l’opposé, il existera un organisme psychopathe, programmé par la même source de façon à ce qu’il n’en émerge que du mal ou de la perversion. L’accomplissement de ses actions perverses et mauvaises est le destin de l’organisme corps-esprit que la société appellera psychopathe. Mais le psychopathe n’a pas choisi d’être psychopathe. En fait il n’y a pas de psychopathe ; il n’y a qu’un organisme corps-esprit psychopathe dont le destin est de commettre des actes malsains et pervers. Et les conséquences de ces actes sont aussi le destin de cet organisme corps-esprit là.
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Pour ne pas trop surcharger la page, voici le lien pour lire l'intégralité de l'entretien : Qu'est-ce que l'éveil ?

4 commentaires:

fishfish a dit…

Du lourd avec le post de ipapy de jean klein

Marion M. a dit…

Merde alors !
Je me demande ce qu'en penserait Daniel.
C'est troublant et tout autant choquant...mais choquant pour l'ego ou pour le disciple ? Je sens qu'il manque un rouage, et je ne sais pas si c'est moi ou les paroles de cet homme étonnant qui déconnent !!!

Le passage qui m'a le plus scotchée :
la quête spirituelle est le plus grand obstacle à cause de celui qui cherche. C’est le chercheur qui est l’obstacle - pas le fait de chercher ; la quête se fait d’elle-même. La quête se fait d’elle-même parce que l’organisme corps-esprit est programmé pour chercher ce qu’il cherche. Alors si la recherche de l’éveil se fait, c’est que l’organisme corps-esprit a été programmé pour cette quête. L’obstacle est le chercheur qui dit : « Je veux l’éveil. »

fishfish a dit…

soit ascensionné soit syphonné
avec les mêmes paroles, les mêmes mots, d'ou un besoin de discrimination au point

Anonyme a dit…

Dès qu'il y a un "je veux" il ne peut apparaître un "que ta volonté soit faite". "Je " ne peut pas être fait pour l'éveil de toute façon, puisqu'il doit disparaître, ni le saisir ou le comprendre.
Si nous sommes attirés par "la spiritualité" c'est inné. C'est au niveau du coeur que ça se passe, et nous n'avons aucune maîtrise là dedans. C'est comme si je décidais d'aimer quand je veux, ce n'est pas possible!